Genre et résilience en Afrique : De la vulnérabilité commune aux solutions souveraines
Du Sahel à l’Océan Indien, un constat traverse le continent africain : les catastrophes climatiques exacerbent des inégalités de genre profondément ancrées, et les financements pour y répondre sont insuffisants. Une analyse comparée des situations en Somalie, au Malawi, en Guinée-Bissau, aux Comores et en Sierra Leone, enrichie d’exemples d’autres nations, révèle des vulnérabilités communes mais aussi l’émergence de solutions innovantes. Si les défis sont systémiques, la voie vers une résilience inclusive passe par la construction d’architectures de financement souveraines qui placent les femmes, véritables piliers des économies locales, au cœur de la stratégie.
Le Diagnostic : Un triptyque de vulnérabilités panafricaines
L’analyse des cinq pays de référence révèle un schéma de vulnérabilité commun à de nombreuses nations africaines, reposant sur trois piliers.
- La Dépendance macroéconomique : Les économies sont massivement dépendantes de l’agriculture pluviale, un secteur qui, bien qu’essentiel au PIB (de 49% aux Comores à 69% en Guinée-Bissau), est à la merci des chocs climatiques. Cette fragilité se traduit par une faible capacité budgétaire de l’État. Dans tous les cas étudiés, de la Somalie à la Sierra Leone, la réponse aux catastrophes dépend "presque exclusivement de l’assistance des donateurs externes". Les fonds d’urgence nationaux, quand ils existent, sont souvent inactifs ou sous-financés.
- L’Exclusion microéconomique des femmes : Les femmes constituent l’épine dorsale de l’économie rurale et du secteur informel sur tout le continent. Cependant, leur accès aux ressources formelles (crédit, terre, assurance) est systématiquement limité par des normes sociales et des lacunes juridiques. Elles sont ainsi piégées dans un cycle où leur rôle économique crucial ne se traduit ni par une sécurité financière, ni par un pouvoir de décision.
- Le Chaînon manquant institutionnel : Tous les rapports soulignent un fossé critique : des politiques nationales pour l’égalité des genres existent sur le papier, mais elles manquent cruellement de financement et ne sont pas intégrées dans les stratégies de GRC. Les unités "Genre" au sein des ministères, lorsqu’elles existent, n’ont pas de budget propre pour mener leurs missions.
Les solutions : Comparaison des architectures de financement
Face à ce diagnostic commun, les solutions proposées dans les différents rapports, complétées par d’autres expériences africaines, convergent vers la construction de systèmes de financement intégrés à trois niveaux.
À l’échelle macroéconomique : La quête de fonds souverains
La priorité absolue est de créer des mécanismes budgétaires nationaux pérennes.
- Les Fonds nationaux dédiés : La recommandation la plus partagée est la création ou l’activation d’un fonds national pour les catastrophes. La Sierra Leone se distingue par un cadre légal déjà en place qui prévoit un Fonds de Gestion des Catastrophes et un Fonds d’Urgence pour la Santé Publique, avec un engagement de l’État de 10 millions de dollars pour ce dernier. La proposition pour le Malawi est encore plus précise : flécher 5% de son futur fonds national pour les catastrophes vers des activités spécifiques au genre, une forme directe de budgétisation sensible au genre (BSG). Cette approche est également visible au Kenya, qui a mis en place un National Drought Emergency Fund pour canaliser les ressources de manière prévisible.
À l’échelle mésoéconomique : Le levier des institutions intermédiaires
Entre l’État et les communautés, des institutions relais sont essentielles pour distribuer les fonds efficacement.
- Les Plateformes de protection sociale : La Sierra Leone offre un modèle robuste avec sa Commission Nationale pour l’Action Sociale (NaCSA), qui a prouvé sa capacité à gérer des transferts monétaires d’urgence en ciblant majoritairement les femmes (65% des ménages bénéficiaires). De même, les Comores s’appuient sur le succès de leurs projets de filets sociaux de sécurité, financés par la Banque Mondiale, pour atteindre les plus vulnérables. Ces agences deviennent les candidats naturels pour gérer les décaissements des fonds nationaux.
- Lier l’informel au formel : Le rapport du Malawi met en lumière le rôle crucial des Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit (VSL), massivement fréquentées par les femmes. La solution proposée est de connecter ces systèmes financiers informels aux marchés formels, notamment en liant les VSL à des produits d’assurance climatique, une approche également explorée par des programmes comme R4 Rural Resilience Initiative au Sénégal et en Éthiopie.
À l’échelle microéconomique : Investir dans le capital des femmes
Le financement doit se traduire par un capital tangible entre les mains des femmes.
- Le "Cash-Plus" : La tendance est de dépasser le simple transfert monétaire. Les solutions pour la Somalie et la Sierra Leone insistent sur des programmes de "Cash and Training", où l’aide financière est couplée à des formations en compétences techniques ou financières. L’objectif est de fournir un "Capital de Relance" pour permettre aux femmes de reconstituer leurs entreprises détruites.
- Capitaliser sur le leadership local : Aux Comores, le concept des "mères leaders", des femmes formées pour accompagner d’autres femmes, est identifié comme un puissant levier de changement. Investir dans la formation et la mise en réseau de ces leaders locales est une stratégie microéconomique à fort impact, transformant les bénéficiaires en actrices du changement.
Conclusion : Vers un modèle de résilience panafricain
L’analyse comparée des défis et des solutions en Somalie, au Malawi, en Guinée-Bissau, aux Comores, en Sierra Leone et au-delà, révèle une convergence claire. La résilience durable sur le continent ne sera atteinte que par la construction de systèmes de financement souverains, multi-niveaux et intrinsèquement sensibles au genre. Il ne s’agit plus de considérer l’égalité des genres comme une politique sociale sectorielle, mais comme la fondation même d’une stratégie économique de gestion des risques. En activant des fonds nationaux, en s’appuyant sur des institutions de protection sociale efficaces et en investissant directement dans le capital productif et le leadership des femmes, les nations africaines peuvent transformer un cycle de vulnérabilité en un cercle vertueux de résilience et de développement inclusif.