Guinée-Bissau : Bâtir une souveraineté financière pour la résilience des femmes
Le rapport sur le genre et la gestion des crises en Guinée-Bissau dresse un diagnostic sans appel : les capacités nationales de réponse aux catastrophes et aux épidémies sont « quasi inexistantes » et dépendent « presque exclusivement de l’assistance des donateurs externes ». Au cœur de cette fragilité, la principale politique d’égalité du pays, la PNIEG, reste une coquille vide, faute de financement. Face à cette situation, il est illusoire de parler de résilience sans aborder la question de la souveraineté financière. Cet article, s’appuyant sur les évidences du rapport, propose une architecture économique pour construire cette souveraineté en plaçant l’autonomisation financière des femmes au centre de la stratégie.
Le Diagnostic : Une Économie de Rente et une Exclusion Financière
L’analyse économique révèle une double vulnérabilité. Sur le plan macroéconomique, l’économie bissau-guinéenne est une quasi-monoculture, où l’agriculture, dominée par la noix de cajou, représente 69% du PIB et 85% des emplois. Cette hyper-dépendance rend le budget de l’État extrêmement volatil et incapable de financer les services de base, notamment un système de protection sociale qui est qualifié de « hautement faible ». Le rapport est clair : il n’existe aucun fonds d’urgence national pour les catastrophes , et plus de 95% des dépenses d’assistance sociale sont financées par les donateurs.
Au niveau microéconomique, cette fragilité se traduit par une exclusion financière systémique des femmes. Elles sont massivement concentrées dans le secteur informel sans protection sociale , ont un accès discriminatoire à la terre et au crédit, et subissent un fossé numérique et financier important. Le rapport note que dans les zones rurales, les femmes n’ont catégoriquement pas de compte bancaire et s’appuient sur des systèmes d’épargne traditionnels informels appelés « abota ».
La solution : Une architecture pour l’autonomie financière
La stratégie doit viser à construire, brique par brique, une capacité de financement nationale et inclusive.
- À l’échelle macroéconomique : Créer un levier souverain
La priorité absolue est de créer un instrument budgétaire national. Le rapport recommande d’assurer une affectation équitable des ressources dans le Budget Général de l’État (OGE) pour la réduction des risques et de créer des fonds d’urgence avec les partenaires. La première étape consiste donc à institutionnaliser un Fonds National d’Urgence et de Résilience.
Ce fonds souverain, même modestement abondé au départ par l’État et complété par les partenaires, deviendrait le réceptacle de tous les financements de crise. Son règlement devra impérativement inclure des principes de budgétisation sensible au genre, notamment en intégrant la recommandation du rapport d’inclure un budget spécifique pour garantir l’égalité des genres dans les actions d’urgence. C’est la condition sine qua non pour commencer à bâtir une autonomie financière.
- À l’échelle mésoéconomique : Harmoniser et innover
Actuellement, l’aide internationale est fragmentée entre de multiples projets. Pour maximiser son impact, une Plateforme Nationale de Financement de la Résilience doit être créée. Co-pilotée par les ministères clés (Finances, Femme) et les partenaires, cette plateforme harmoniserait les financements externes pour s’assurer qu’ils soutiennent les objectifs de la politique nationale de genre (PNIEG) et financent des initiatives locales.
Elle pourrait également incuber des solutions innovantes suggérées par le rapport, comme le développement d’un système de "Crowd-funding" pour faciliter la mise en place d’un système d’assurance maladie.
- À l’échelle microéconomique : Partir du local et digitaliser
L’investissement le plus rentable est celui qui s’appuie sur les pratiques existantes. Les femmes utilisent déjà l’« abota », un système d’épargne rotatif basé sur la confiance. La stratégie microéconomique consiste à connecter cet outil informel à l’économie formelle.
Pour ce faire, il faut mettre en œuvre la recommandation du rapport de fournir une éducation financière aux femmes et aux micro-entreprises pour l’utilisation des applications financières mobiles. Des programmes concrets pourraient équiper les groupes d’« abota » de téléphones portables, les former à la gestion via des applications simples et les connecter aux services de "mobile money". Cette approche permet de surmonter le manque d’infrastructures bancaires en milieu rural, de sécuriser l’épargne des femmes et de les intégrer dans l’économie numérique, tout en renforçant leur capital social.
Conclusion : Un Investissement dans la Stabilité
Pour la Guinée-Bissau, le chemin vers la résilience face aux catastrophes et aux épidémies est indissociable de la construction de sa souveraineté financière. Cet effort ne peut réussir qu’en plaçant les femmes, qui sont les piliers de l’économie locale, au centre de la nouvelle architecture financière. En combinant la création d’un fonds national, l’harmonisation de l’aide et la capitalisation sur les savoir-faire locaux comme l’« abota », le pays peut transformer l’égalité des genres d’un objectif non financé en son principal investissement pour un avenir stable et prospère.