Comores : De la vulnérabilité au levier économique, financer la résilience par le genre
L’analyse de genre sur la gestion des risques de catastrophes (GRC) aux Comores révèle un paradoxe frappant : alors que le pays dispose d’un cadre juridique et politique favorable à l’égalité, le rapport confirme l’« absence de ressources financières spécifiques et permanentes allouées aux activités de genre dans la GRC ». Cette déconnexion entre l’intention et l’action maintient les femmes, piliers de l’économie locale, dans une situation de grande vulnérabilité face aux chocs climatiques. En s’appuyant sur les mécanismes existants et les recommandations du rapport, cet article propose une architecture de financement réaliste visant à transformer le genre d’une simple considération sociale en un levier économique pour la résilience nationale.
Le Diagnostic : Une économie fragile, un potentiel inexploité
L’économie comorienne est marquée par une double fragilité. Au niveau macroéconomique, elle repose sur l’agriculture, qui représente 49% du PIB et emploie près de 70% de la population active. Cette dépendance expose l’ensemble du pays aux aléas climatiques. Sur le plan budgétaire, la capacité de réponse de l’État est limitée ; le rapport note qu’un fonds d’urgence national existerait mais il n’est pas actif, forçant le pays à dépendre de l’aide des partenaires techniques et financiers en cas de crise.
Au niveau microéconomique, la pauvreté est plus prononcée en milieu rural (50,3 %), où vivent la majorité des Comoriens. Les femmes sont au cœur de cette économie, occupant 69% des emplois agricoles. Cependant, elles évoluent majoritairement dans un secteur informel précaire (78,14 %), produisant pour l’autoconsommation. Malgré ce rôle économique central, elles sont sous-représentées dans les instances de décision et leurs besoins sont rarement priorisés. Le rapport souligne toutefois une force clé : les femmes disposent de capacités « innées » d’adaptation et d’une forte solidarité communautaire qui s’exprime à travers des groupements féminins.
La solution : Une architecture de financement intégrée et éprouvée
La stratégie de financement ne doit pas partir de zéro, mais plutôt institutionnaliser et mettre à l’échelle des mécanismes qui ont déjà fait leurs preuves, comme le soulignent plusieurs initiatives dans le rapport.
- À l’échelle macroéconomique : Institutionnaliser un fonds dédié
La recommandation la plus fondamentale du rapport est de faire le plaidoyer pour la création d’un fonds dédié aux activités de gestion des risques de catastrophes sensibles au genre. C’est la première étape vers la souveraineté financière en matière de GRC. Ce Fonds National pour la Résilience Inclusive servirait à centraliser les contributions de l’État et des partenaires internationaux, assurant ainsi un financement prévisible et pérenne. Sa gouvernance devrait inclure des représentantes d’organisations de la société civile féminines pour garantir que les allocations répondent aux besoins réels identifiés sur le terrain. Le rapport suggère d’organiser une table ronde des partenaires et des décideurs pour assurer son financement.
- À l’échelle mésoéconomique : Systématiser les filets sociaux de sécurité
Le rapport met en évidence le succès de projets comme les « Filets sociaux de sécurité », financés par la Banque mondiale, qui visent à renforcer la résilience des communautés vulnérables. Ces projets utilisent des outils économiques efficaces comme les transferts monétaires et l’argent contre travail, en ciblant au moins 60% de femmes.
Plutôt que de rester à l’état de projets ponctuels, ce modèle doit être érigé en une Plateforme Nationale permanente de Protection Sociale Adaptative. Cette plateforme deviendrait le principal mécanisme de décaissement du Fonds National, capable de déployer rapidement une aide financière ciblée avant ou après un choc. Elle s’appuierait sur les structures existantes et les leçons apprises pour une efficacité maximale.
- À l’échelle microéconomique : Capitaliser sur le leadership des "Mères Leaders"
L’un des succès les plus remarquables du projet « Filets sociaux » est l’émergence des « mères leaders ». Ces femmes, formées pour accompagner les autres bénéficiaires, sont devenues de véritables agents de changement, encourageant d’autres femmes à « s’affirmer et à sortir de l’ombre ».
La stratégie microéconomique consiste à investir dans ce capital social. Le financement doit être orienté vers la formation et la mise en réseau de ces femmes leaders à l’échelle nationale. Le Fonds National pourrait leur allouer des micro-subventions pour qu’elles puissent initier et soutenir des Activités Génératrices de Revenus (AGR) au sein de leur communauté, renforçant ainsi l’autonomie financière et la capacité de leurs paires à faire face aux chocs.
Conclusion : Structurer l’existant pour un impact durable
La solution pour financer la politique de genre dans la GRC aux Comores ne réside pas dans l’invention de concepts nouveaux, mais dans la structuration et la pérennisation de ce qui fonctionne déjà. En créant un fonds national dédié (macro), en le connectant à une plateforme de filets sociaux éprouvée (méso), et en s’appuyant sur le leadership organique des femmes au niveau local (micro), les Comores peuvent transformer leur approche. L’égalité des genres cessera d’être une simple clause dans des rapports pour devenir le véritable moteur d’une résilience économique inclusive et durable.