Sierra Leone : Activer les fonds, financer la résilience des femmes
Le rapport d’analyse de genre pour la Sierra Leone met en lumière une situation pleine de promesses mais inachevée. Le pays s’est doté d’un arsenal juridique et politique progressiste, comme la loi sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes (GEWE Act), et a prévu des mécanismes de financement pour les crises. Pourtant, le financement de la gestion des risques de catastrophes (GRC) et des urgences de santé publique reste « relativement faible et au mieux ponctuel », dépendant largement des partenaires externes. Ce décalage entre la loi et la pratique laisse les femmes, actrices économiques clés du secteur informel, particulièrement exposées. En s’appuyant sur les cadres existants et les réussites identifiées dans le rapport, cet article propose une architecture de financement visant à activer ces mécanismes dormants pour faire de l’autonomisation des femmes le pilier de la résilience nationale.
Le Diagnostic : Des cadres en place, des capitaux absents
L’analyse économique révèle un paradoxe. Sur le plan macroéconomique, la Sierra Leone a posé les jalons d’une gestion financière souveraine des crises. La Loi sur la Gestion des Catastrophes de 2020 et la Loi sur la Santé Publique de 2022 prévoient respectivement la création d’un Fonds de Gestion des Catastrophes et d’un Fonds Fiduciaire d’Urgence pour la Santé Publique. De plus, un engagement gouvernemental existe pour sanctuariser jusqu’à 10 millions de dollars pour ce dernier. Cependant, le rapport est clair : le Fonds de Gestion des Catastrophes n’est pas encore établi et, en pratique, il n’y a aucune preuve de budgétisation sensible au genre dans ces secteurs.
Au niveau microéconomique, les conséquences de ce sous-financement sont directes. Les femmes, qui dominent le secteur informel en tant que petites commerçantes et agricultrices, voient leurs moyens de subsistance anéantis par les catastrophes et les mesures de confinement. Le rapport souligne que les inondations peuvent ruiner complètement leurs entreprises, les laissant sans capital pour redémarrer ou même rembourser leurs prêts. Malgré cette vulnérabilité, des mécanismes efficaces ont vu le jour, notamment le Programme d’Urgence de Transfert Monétaire durant la COVID-19, qui a bénéficié à 65% de ménages dirigés par des femmes.
La solution : Une architecture de financement à activer
La stratégie pour la Sierra Leone ne consiste pas à créer de nouveaux outils, mais à rendre opérationnels ceux qui existent déjà légalement, en les articulant à trois niveaux.
- À l’échelle macroéconomique : Opérationnaliser les fonds souverains
La priorité absolue est d’exécuter la loi. Le gouvernement doit établir et rendre opérationnel le Fonds de Gestion des Catastrophes, comme le prévoit la loi de 2020. En parallèle, il doit concrétiser son engagement de 10 millions de dollars pour le Fonds d’Urgence de Santé Publique. Ces fonds souverains sont la clé pour réduire la dépendance et permettre une réponse rapide et planifiée.
Pour s’assurer que ces fonds bénéficient équitablement à tous, leur gestion doit être encadrée par une budgétisation sensible au genre, une initiative que le gouvernement déploie progressivement. Comme le recommande le rapport, le déploiement effectif de la BSG dans les secteurs de la santé et de la GRC est essentiel. Cela passera par le renforcement des unités Genre au sein des agences concernées, tel que mandaté par la loi GEWE.
- À l’échelle mésoéconomique : Utiliser NaCSA comme levier institutionnel
Le rapport identifie un levier institutionnel déjà éprouvé : la Commission Nationale pour l’Action Sociale (NaCSA), qui a géré avec succès le programme de transferts monétaires d’urgence. La NaCSA, avec son expérience dans le ciblage des ménages vulnérables et sa portée nationale, est l’institution idéale pour servir de principal mécanisme de mise en œuvre pour les nouveaux fonds nationaux. En institutionnalisant le modèle de transferts monétaires via la NaCSA, l’État peut s’assurer que les fonds alloués au niveau macroéconomique atteignent rapidement et efficacement les populations affectées, avec un ciblage prouvé en faveur des femmes.
- À l’échelle microéconomique : Injecter un capital de relance pour les femmes
Pour répondre directement à la destruction des moyens de subsistance des femmes, les fonds doivent financer des programmes de relèvement économique. S’inspirant de mesures passées comme le moratoire de trois mois sur le remboursement des microcrédits, la NaCSA pourrait déployer un programme de "Capital de Relance pour les Femmes".
Il s’agirait de transferts monétaires non pas seulement pour la survie, mais spécifiquement pour la recapitalisation des petites entreprises et des activités agricoles des femmes. Ce programme de "cash-plus" pourrait inclure une composante de formation en gestion simple, donnant aux femmes les moyens non seulement de reconstruire, mais de "mieux reconstruire" de manière plus résiliente.
Conclusion : De la loi à l’action
La Sierra Leone a déjà accompli le plus difficile : construire un consensus politique et un cadre légal pour l’égalité des genres et la gestion des crises. Le défi n’est plus conceptuel, mais opérationnel. En activant les fonds prévus par la loi, en les dotant de règles de budgétisation sensible au genre, et en s’appuyant sur l’efficacité prouvée de la NaCSA pour atteindre les femmes, le pays peut combler le fossé entre ses ambitions et la réalité. L’enjeu est de transformer des lois progressistes en capital tangible entre les mains des femmes, qui sont les véritables architectes de la résilience communautaire.