Financer le genre pour fortifier la Somalie : De la dépense humanitaire à l’investissement stratégique
Le rapport analysant l’intégration du genre dans la gestion des risques de catastrophes en Somalie dresse un portrait saisissant : celui d’une nation prise en étau entre des chocs climatiques dévastateurs et des inégalités de genre profondes qui en amplifient les conséquences. Face à ce double défi, le financement des politiques d’égalité n’est plus une simple question de justice sociale, mais un impératif de résilience économique. En s’appuyant sur les évidences du rapport, cet article propose une architecture de financement intégrée, transformant la politique de genre d’un coût humanitaire récurrent en un investissement stratégique pour le développement durable de la Somalie.
Le diagnostic : Une double vulnérabilité économique
Le rapport met en lumière une économie structurellement fragile. Dominée par l’agriculture, qui représente 65% du PIB et de l’emploi , l’économie somalienne est à la merci des sécheresses et des inondations qui détruisent régulièrement le capital productif du pays. Sur le plan microéconomique, la pauvreté est endémique, avec 73% de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour.
Dans ce contexte, les femmes sont les plus exposées. Le rapport note une augmentation du nombre de ménages dirigés par des femmes qui font face à des "défis énormes". Leur accès limité aux ressources et leur faible représentation dans les instances de décision les rendent particulièrement vulnérables. Cette situation n’est pas seulement une tragédie sociale ; c’est un frein macroéconomique qui empêche près de la moitié de la population de contribuer à la résilience nationale.
La solution : Une architecture de financement intégrée
Pour être efficace, le financement doit s’opérer à trois niveaux complémentaires, en passant d’une logique de dépense à une logique d’investissement.
- À l’échelle macroéconomique : La budgétisation sensible au genre
La première étape est d’ancrer le financement du genre au cœur des finances publiques. La budgétisation sensible au genre est un outil qui analyse l’impact des budgets nationaux sur les hommes et les femmes afin de corriger les déséquilibres. Le rapport révèle une lacune critique : l’unité Genre au sein de l’agence nationale de gestion des catastrophes (SoDMA) manque de budget pour son travail.
La mise en œuvre de la budgétisation sensible au genre, en s’appuyant sur le Plan National de Développement qui reconnaît déjà l’égalité des genres comme un objectif clé, permettrait d’allouer des ressources prévisibles et protégées. Économiquement, investir en amont dans la réduction de la vulnérabilité des femmes est plus rentable que de financer des réponses d’urgence coûteuses et répétitives.
- À l’échelle mésoéconomique : Un fonds fiduciaire pour la résilience
Pour canaliser les fonds de manière ciblée, la création d’un "Fonds Fiduciaire National pour la Résilience des Femmes" est essentielle. Cette proposition s’inspire de la recommandation du rapport de mettre en place des "fonds transformateurs de genre pour les catastrophes". Ce fonds mutualiserait les ressources de l’État, des donateurs internationaux et du secteur privé pour financer des projets à double impact : renforcer la résilience climatique et promouvoir l’autonomisation économique des femmes. Il s’agirait par exemple de soutenir des coopératives agricoles féminines ou de former les femmes à des métiers de la reconstruction. Un tel mécanisme assure que le financement du genre ne soit pas dilué et crée un signal fort pour attirer de nouveaux investissements.
- À l’échelle microéconomique : Le capital humain et financier des femmes
L’investissement le plus puissant est celui qui cible directement les individus. Le rapport souligne la nécessité de former les femmes et de les inclure dans les efforts de reconstruction. Des programmes de "Cash and Training" (transferts monétaires liés à des formations) peuvent offrir un soutien vital tout en renforçant le capital humain. En parallèle, faciliter l’accès des femmes à la finance inclusive (microcrédit, épargne) leur donne les outils pour reconstruire leurs moyens de subsistance après un choc.
L’autonomisation économique d’une femme a des effets multiplicateurs prouvés : elle investit davantage dans la nutrition, la santé et l’éducation de sa famille, posant les bases d’une croissance durable pour la génération future.
Conclusion : Un changement de paradigme
Financer la politique de genre en Somalie ne doit plus être perçu comme un fardeau ou une case à cocher pour les donateurs. Les évidences présentées dans le rapport montrent clairement qu’il s’agit d’une condition sine qua non à la stabilité économique et à la résilience du pays. En adoptant une architecture de financement intégrée – de la budgétisation nationale à l’investissement direct dans le potentiel des femmes – la Somalie peut opérer un changement de paradigme crucial : faire de l’égalité des genres non plus une conséquence de la crise, mais le principal catalyseur de sa résolution.