Somalie : quand les catastrophes révèlent les fractures de genre
La Somalie, pays meurtri par des décennies de conflits, de sécheresses récurrentes et d’inondations destructrices, se retrouve aujourd’hui face à un paradoxe : alors que les catastrophes s’intensifient sous l’effet du changement climatique, leur gestion reste aveugle aux réalités de genre. Le rapport commandité par Africa Risk Capacity (ARC) met en lumière l’urgence d’intégrer les femmes au cœur de la gouvernance des risques.
Des désastres aux visages multiples
D’après les chiffres compilés, la Somalie subit une succession d’aléas climatiques et sanitaires :
- Inondations : 45 % des catastrophes recensées depuis 1980, ravageant les zones agricoles du Jubba et du Shabelle ;
- Sécheresses : de plus en plus fréquentes, elles menacent la survie des communautés pastorales ;
- Cyclones, tempêtes et invasions de criquets : destructeurs mais mal anticipés ;
- Épidémies : choléra endémique, malnutrition et faible résilience sanitaire aggravent la crise ;
- Conflits : qui continuent de déplacer des millions de personnes et d’entraver l’accès humanitaire
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Les femmes, premières victimes mais actrices invisibles
Dans ce paysage de vulnérabilité, les femmes paient le prix le plus lourd. Déjà fragilisées par des inégalités structurelles (accès limité aux ressources, dépendance économique, violences basées sur le genre), elles voient leur précarité amplifiée lors des crises.
« Les catastrophes ne sont pas neutres : elles frappent différemment selon le genre », rappelle l’étude. Pourtant, malgré leur rôle clé dans la survie des foyers – gestion de l’eau, protection des enfants, organisation des solidarités – les femmes restent marginalisées dans les comités de préparation et les dispositifs d’alerte.
Une architecture institutionnelle inachevée
La Somali Disaster Management Agency (SoDMA), réhabilitée en 2022, porte la responsabilité de la gestion nationale des crises. Mais son mandat se heurte à de lourdes limites : manque de financement, faible présence locale, et surtout absence d’une véritable loi-cadre sur la gestion des catastrophes.
Les politiques existantes – comme la National Gender Policy ou le National Development Plan – reconnaissent la nécessité d’une approche inclusive. Mais sur le terrain, peu d’acteurs connaissent ces textes, et leur mise en œuvre reste embryonnaire.
Les obstacles au mainstreaming du genre
Le rapport met en évidence plusieurs blocages :
- Sous-représentation féminine : la quasi-totalité des structures DRM est dirigée par des hommes, renforcée par des stéréotypes culturels et la pression d’Al-Shabaab interdisant l’engagement féminin local.
- Faible appropriation des politiques : la plupart des acteurs locaux ignorent les dispositions existantes en matière de genre et de DRM.
- Manque de cartographie sensible au genre : l’absence de données désagrégées rend invisibles les besoins spécifiques des femmes et des filles.
- Systèmes d’alerte précoces limités : trop centralisés à Mogadiscio, peu adaptés aux réalités des communautés rurales.
Un champ des possibles
Malgré ces carences, le rapport trace des perspectives claires :
- Adopter une loi nationale DRM intégrant explicitement l’égalité de genre ;
- Former systématiquement les équipes de secours et les responsables locaux aux enjeux de genre ;
- Inclure les femmes dans les comités de gestion de crise, du niveau communautaire jusqu’au national ;
- Renforcer les systèmes d’alerte en conjuguant savoirs traditionnels et données scientifiques ;
- Développer une cartographie de la vulnérabilité sensible au genre, outil indispensable pour planifier les réponses.
Le tournant décisif
En définitive, cette analyse rappelle que la résilience de la Somalie ne se construira pas sans les femmes. Loin d’être de simples victimes, elles peuvent être des actrices de changement si leurs voix et leurs savoirs trouvent leur place dans les instances de décision. Comme le souligne le rapport : « Les catastrophes offrent une fenêtre pour transformer durablement les inégalités. Mais encore faut-il saisir cette opportunité. »