Côte d’Ivoire : ancrer le genre dans l’émergence, une stratégie de financement pour la résilience
Le rapport sur le genre et la gestion des risques de catastrophes (GRC) en Côte d’Ivoire dresse un constat révélateur : malgré une forte croissance économique et une ambition d’émergence, la prise en compte du genre dans les mécanismes de financement de la résilience reste un défi majeur. Le pays est exposé à des risques climatiques croissants comme les inondations, qui frappent de manière disproportionnée les femmes, piliers de l’économie informelle et agricole.
En s’appuyant sur les évidences du rapport et les dynamiques économiques ivoiriennes, cet article propose une architecture de financement intégrée, visant à transformer la politique genre d’une intention louable en un investissement stratégique pour une émergence inclusive et résiliente.
Diagnostic économique : croissance, vulnérabilité et omissions
Contexte macroéconomique : une croissance forte mais non inclusive
La Côte d’Ivoire est une puissance économique régionale, avec une croissance soutenue qui en fait un modèle d’émergence. L’agriculture reste le principal contributeur au PIB et à l’emploi, mais le rapport met en lumière la vulnérabilité du pays aux chocs climatiques comme les inondations, qui coûtent cher en vies humaines et en dégâts matériels. Malgré la création du Fonds National d’Action d’Urgence pour le Développement (FNAUD) pour financer les interventions d’urgence, le rapport pointe son manque d’opérationnalisation, réduisant l’État à la dépendance de l’aide humanitaire internationale.
Contexte microéconomique : les femmes, actrices oubliées de la résilience
Les femmes sont au cœur de l’économie ivoirienne, majoritaires dans l’agriculture de subsistance et dans le secteur informel. Cependant, elles sont confrontées à une triple exclusion financière : accès limité au foncier, au crédit formel, et aux formations, ce qui les rend extrêmement vulnérables aux chocs. Le rapport est catégorique : la question du genre n’est pas systématiquement prise en compte dans les analyses d’impact post-catastrophe. Cette omission rend invisibles les besoins spécifiques des femmes et perpétue un cycle de vulnérabilité, transformant un défi social en un coût économique récurrent.
Proposition de solution de financement : ancrer, amplifier, autonomiser
La solution doit s’appuyer sur la dynamique de croissance du pays pour intégrer le genre comme un pilier de la stratégie d’émergence.
- Niveau macroéconomique : opérationnaliser le FNAUD avec une optique genre
L’objectif est d’activer et de réorienter l’outil financier national existant.
Action : opérationnaliser le FNAUD et lui adjoindre une cellule de budgétisation sensible au genre.
Principe économique : Le FNAUD, bien qu’existant, est une ressource "non opérationnelle". L’activer et l’inscrire dans une logique de budgétisation sensible au genre permet de transformer un fonds réactif en un levier proactif de résilience.
Mise en œuvre : - Réactivation et dotation du FNAUD : Mobiliser des ressources nationales (ex : 0,5% du PIB sur une période donnée) et des garanties internationales pour rendre le FNAUD fonctionnel et prévisible.
- Création d’une "Cellule Genre & Budgétisation Résilience" au sein du FNAUD, composée d’experts en genre et en finances, chargée d’analyser les plans d’action et de proposer des allocations budgétaires qui ciblent explicitement les besoins et le renforcement des capacités des femmes.
- Légaliser la budgétisation sensible au genre comme principe directeur pour toutes les allocations du FNAUD, assurant que chaque intervention d’urgence ou de relèvement ait un impact positif et mesurable sur l’égalité des genres.
Justification économique : L’activation du FNAUD réduit le "coût d’inaction" et la dépendance à l’aide externe. L’intégration de la budgétisation sensible au genre assure que les dépenses d’urgence sont des investissements efficaces, réduisant la vulnérabilité à long terme et augmentant le retour sur investissement social et économique.
- Niveau Mésoéconomique : Développer une Assurance Climat Inclusive et des Partenariats Public-Privé
L’objectif est de mutualiser les risques et de mobiliser des capitaux supplémentaires.
Action : Développer des mécanismes d’assurance climatique indexée, ciblant les femmes, via des Partenariats Public-Privé (PPP).
Principe économique : L’assurance climatique protège les actifs agricoles (principalement ceux des femmes) contre les chocs. Les PPP permettent de mobiliser l’expertise et le capital du secteur privé.
Mise en œuvre : - Partenariat avec des assureurs locaux et internationaux pour concevoir des produits d’assurance indexés (basés sur des seuils pluviométriques, par exemple) adaptés aux petites exploitantes agricoles.
- Subventionner les primes d’assurance via le FNAUD ou des fonds de développement agricole, pour les rendre accessibles aux femmes.
- Utiliser les coopératives agricoles féminines comme plateformes de distribution et de sensibilisation à ces produits.
Justification économique : Cela réduit la destruction de capital productif après une catastrophe, stabilise les revenus des ménages et renforce la sécurité alimentaire. Les PPP permettent de répartir les risques et d’attirer des investissements qui autrement ne seraient pas dirigés vers ces populations.
- Niveau Microéconomique : Programmes "Cash-Plus" et Soutien à l’Entrepreneuriat Féminin Résilient
L’objectif est de renforcer directement le capital humain et financier des femmes.
Action : Déployer des programmes de transferts monétaires "Cash-Plus" et de micro-financement axés sur l’entrepreneuriat féminin résilient.
Principe économique : Combiner la protection sociale (cash) avec l’investissement en capital humain (formation) et financier (microcrédit) pour créer des activités économiques plus robustes face aux chocs.
Mise en œuvre : - "Cash-Plus-Formation" : Des transferts monétaires d’urgence seraient liés à des formations en compétences de gestion d’entreprise, en agriculture résiliente (diversification, techniques agroécologiques) ou en métiers de la construction verte.
- Microcrédit "Vert et Résilient" : Développer des produits de microcrédit dédiés aux femmes souhaitant investir dans des activités à faible empreinte carbone et résilientes (ex : transformation locale de produits agricoles, énergie solaire pour les ménages).
- Accompagnement et Incubation : Mettre en place des structures d’incubation pour les entreprises féminines touchées par les catastrophes, offrant mentorat et accès aux marchés.
Justification économique : Ces programmes augmentent la capacité d’adaptation et de récupération des ménages, stimulent l’économie locale par la demande et l’offre générées par les femmes entrepreneurs, et contribuent à une transition économique plus verte et plus durable.
Conclusion : le genre, pilier de l’émergence Ivoirienne
La Côte d’Ivoire, forte de sa croissance, a l’opportunité de redéfinir sa politique genre non pas comme un coût, mais comme un investissement structurant pour son émergence. En activant le FNAUD avec une optique genre, en développant des assurances climatiques inclusives via des PPP, et en capitalisant sur le dynamisme entrepreneurial des femmes par des programmes "Cash-Plus" et de micro-financement résilient, le pays peut construire une résilience socio-économique durable. L’intégration du genre dans le financement de la GRC est la voie la plus directe vers une Côte d’Ivoire plus juste, plus forte et véritablement émergente.