Sénégal : Une stratégie de financement intégrée pour le genre, comme moteur de la résilience économique.
Le rapport sur le genre et la gestion des risques de catastrophes (GRC) au Sénégal révèle un paradoxe : malgré des cadres politiques et légaux progressistes en matière de genre, le financement des activités intégrant cette dimension dans la GRC est « sporadique et fortement tributaire de l’appui des partenaires techniques et financiers (PTF) ». Le pays, fortement exposé aux chocs climatiques, voit ses efforts de développement freinés par cette dépendance et par des inégalités structurelles. Cet article, s’appuyant sur les évidences économiques du rapport, propose une architecture de financement intégrée pour transformer la politique de genre d’une intention à une réalité opérationnelle, faisant des femmes des actrices centrales de la résilience économique nationale.
Diagnostic économique : dépendance, fragmentation et vulnérabilité
Contexte macroéconomique : une croissance vulnérable et un financement externe dominant. L’économie sénégalaise est en croissance, mais reste fortement dépendante de secteurs comme l’agriculture, l’élevage et la pêche, très sensibles aux chocs climatiques (sécheresses, inondations, érosion côtière). Le rapport souligne une faible allocation budgétaire nationale pour la GRC, l’essentiel des financements provenant des PTF (Banque Mondiale, UE, SNU) avec une prédominance pour l’aide d’urgence post-catastrophe. De plus, la budgétisation sensible au genre (BSG) est encore à un stade embryonnaire, limitée à quelques ministères sans un système intégré et contraignant.
Contexte microéconomique : les femmes, gardiennes fragilisées de l’économie familiale
Les femmes jouent un rôle économique essentiel au Sénégal, représentant 70% de la main-d’œuvre agricole et dominant le secteur informel. Cependant, elles sont confrontées à des barrières structurelles : accès limité à la terre, au crédit formel, à la formation et aux nouvelles technologies. Les chocs climatiques détruisent leurs moyens de subsistance, augmentent leur charge de travail et exacerbent leur vulnérabilité, notamment face aux violences basées sur le genre (VBG) en situation de crise. Le manque de financement ciblé pour le genre ne fait qu’aggraver cette précarité, transformant un capital humain vital en un coût social et économique récurrent.
Proposition de solution de financement : ancrer, harmoniser, autonomiser
La solution doit s’appuyer sur la forte volonté politique affichée en matière de genre pour institutionnaliser et pérenniser le financement.
Niveau macroéconomique : un fonds national de résilience et une BSG contraignante
L’objectif est d’assurer une source de financement stable et de l’orienter stratégiquement.
Action : Créer et doter un Fonds National de Résilience Inclusif et rendre la Budgétisation Sensible au Genre (BSG) obligatoire.
Principe économique : La création d’un fonds souverain réduit la dépendance et permet une planification à long terme. La BSG transforme les budgets en outils d’équité.
Mise en œuvre :
- Institutionnalisation et dotation du "Fonds National de Résilience Inclusif" : S’appuyer sur la volonté de l’État de créer des mécanismes de financement à long terme. Le Fonds serait alimenté par des contributions nationales (ex : taxe environnementale sur certaines activités polluantes), des prêts concessionnels et des garanties des PTF. Il devrait avoir des règles de décaissement flexibles pour la pré-action et la réponse rapide.
- Rendre la BSG obligatoire et intégrée : Étendre la BSG à tous les ministères sectoriels (Agriculture, Santé, Éducation, Femme) et aux agences de GRC (DGPC, CONACDIS). Cela impliquerait un cadre législatif contraignant et des formations régulières pour les cadres budgétaires.
- Affecter un pourcentage minimal du Fonds national aux activités spécifiquement liées au genre et à la GRC.
Justification économique : Un financement national et prévisible réduit les coûts de réponse post-catastrophe et le coût social des inégalités. La BSG garantit que l’argent est dépensé de manière plus efficace et équitable, maximisant le retour sur investissement dans le développement humain et la résilience.
Niveau Mésoéconomique : Plateformes de coordination et de co-financement avec les PTF
L’objectif est de rationaliser l’aide externe et de la rendre plus efficace.
Action : Mettre en place une "Plateforme Nationale de Co-financement Genre & Résilience" avec les PTF.
Principe économique : Cette plateforme répondrait à la fragmentation actuelle des financements des PTF, qui sont souvent "ponctuels" et axés sur l’urgence. Elle permettrait d’harmoniser les efforts et de mutualiser les ressources.
Mise en œuvre :
- Création d’un cadre de dialogue régulier entre le gouvernement (Ministères des Finances, Femme, GRC) et les PTF.
- Établir des indicateurs de performance genre communs pour tous les projets financés par la plateforme.
- Orienter les financements vers des projets à long terme qui intègrent la prévention, l’adaptation et l’autonomisation des femmes, plutôt que la seule aide d’urgence.
Justification économique : Une meilleure coordination réduit le gaspillage et maximise l’impact des fonds. Elle permet de passer d’une logique de réponse à une logique d’investissement dans la prévention et la résilience durable, plus rentable à long terme.
Niveau microéconomique : innovation financière et soutien aux Agrifemmes
L’objectif est de renforcer directement le capital productif et financier des femmes.
Action : Développer des instruments financiers innovants ciblant les femmes et soutenir leurs coopératives agricoles.
Principe économique : L’inclusion financière des femmes stimule l’économie locale et renforce la capacité d’adaptation des ménages.
Mise en œuvre :
- Subventionner l’assurance indicielle agricole pour les coopératives de femmes, afin de les protéger contre les chocs climatiques. Le rapport mentionne des outils comme le « microcrédit lié à l’assurance récolte » ; il faudrait le systématiser.
- Développer des produits de microcrédit spécifiques pour l’acquisition de technologies résilientes (semences améliorées, équipements d’irrigation à faible consommation d’eau) et pour la diversification des activités économiques des femmes (transformation des produits agricoles).
- Renforcer les capacités des organisations paysannes de femmes : Les « groupements de femmes actives dans l’agriculture » sont un pilier à soutenir. Les doter de fonds de roulement, de formations en gestion et d’accès aux marchés locaux et régionaux.
Justification économique : Cela réduit la pauvreté rurale, augmente la productivité agricole (dont 70% est portée par les femmes), diversifie les sources de revenus, et crée des boucles de rétroaction positives pour la sécurité alimentaire et le développement local.
Conclusion : le Sénégal, fer de lance de la résilience par le genre
Le Sénégal, avec sa forte volonté politique en matière de genre et sa dynamique de croissance, a l’opportunité de devenir un modèle en Afrique de l’Ouest. En intégrant le financement du genre à chaque niveau de sa stratégie GRC – via un Fonds national solide, une coordination efficace avec les PTF, et des investissements ciblés dans le capital humain et financier des femmes – le pays peut transformer ses vulnérabilités en atouts. Faire des femmes des actrices économiques autonomes et résilientes n’est pas seulement une question d’équité ; c’est la voie la plus directe vers une résilience nationale durable et une émergence véritablement inclusive.
