Nigéria : exploiter le potentiel, financer la politique genre pour une résilience économique et sociale
Le rapport d’analyse de genre sur la gestion des risques de catastrophes (GRC) au Nigéria révèle un pays aux dimensions et au potentiel économiques immenses, mais confronté à des défis colossaux : des chocs climatiques (inondations, sécheresses, érosion côtière) exacerbés par l’insécurité et des inégalités de genre profondes. Malgré l’existence d’une politique nationale de GRC et d’une volonté politique affichée pour le genre, le financement de la GRC est << insuffisant et de nature réactive », avec une intégration du genre limitée. Cet article, s’appuyant sur les évidences du rapport et les dynamiques économiques nigérianes, propose une architecture de financement intégrée pour transformer la politique genre d’une intention en un investissement stratégique, faisant des femmes les actrices centrales d’une résilience nationale durable et d’une croissance inclusive.
Diagnostic Économique : Gigantisme, Vulnérabilité et Fragmentation des Réponses
Contexte macroéconomique : une Puissance économique sous pression
Le Nigéria, première économie africaine, est caractérisé par une forte croissance démographique et un immense potentiel, notamment dans le secteur pétrolier. Cependant, il est hautement vulnérable aux chocs climatiques qui entraînent des pertes économiques et humaines considérables. La gestion des risques est fragmentée, avec plusieurs institutions (NEMA, NEDC, NDDC) et des lois sectorielles, mais un manque de coordination et de financement intégré. Le Fonds National d’Urgence (NEF) est censé financer la GRC, mais le rapport souligne son manque de transparence et d’accès, et une dépendance aux allocations annuelles limitées du gouvernement fédéral et des États. La Budgétisation Sensible au Genre (BSG) existe sur le papier mais son application reste symbolique.
Contexte microéconomique : les femmes, force invisible de l’économie formelle et informelle
Les femmes nigérianes sont des actrices économiques clés, constituant la majorité de la main-d’œuvre agricole et dominant le secteur informel. Pourtant, elles sont confrontées à des inégalités systémiques profondes : accès limité à la terre, au crédit formel, à l’éducation, à la technologie, à l’information et aux opportunités. Ces barrières sont exacerbées par les chocs climatiques et les situations d’insécurité (Boko Haram au nord-est, conflits agropastoraux) qui augmentent leur vulnérabilité, leur charge de travail et les exposent davantage aux violences. Le rapport est clair : les données ventilées par genre sont rares, ce qui rend difficile l’élaboration de réponses ciblées.
Proposition de solution de financement : intégrer, capitaliser, décentraliser
La solution doit exploiter le potentiel économique du Nigéria, en institutionnalisant le financement du genre et en le décentralisant pour une efficacité maximale.
Niveau Macroéconomique : Un Fonds Fédéral de Résilience Inclusif et une BSG Fédéralisée
L’objectif est de créer un mécanisme de financement robuste et systématiquement sensible au genre à l’échelle nationale.
Action : Restructurer et doter le Fonds National d’Urgence (NEF) en un "Fonds Fédéral de Résilience Inclusif" avec une Budgétisation Sensible au Genre (BSG) obligatoire et des allocations décentralisées.
Principe économique : Transformer un fonds existant en un levier stratégique de développement, réduisant la fragmentation et intégrant la BSG pour une allocation efficace et équitable des ressources.
Mise en œuvre :
- Réforme et dotation du NEF : Renforcer sa base légale et ses mécanismes de transparence. Le doter d’une source de financement pérenne et prévisible (ex : un pourcentage fixe des revenus pétroliers, une taxe sur les émissions de carbone, des garanties de PTF).
- Légaliser la BSG fédérale et étatique : Intégrer des exigences de BSG contraignantes dans les lois de finances fédérales et étatiques pour tous les ministères sectoriels et agences de GRC, avec des audits réguliers.
- Allocations décentralisées et conditionnées : Créer un mécanisme par lequel une partie significative du Fonds Fédéral de Résilience Inclusif est allouée aux États et aux Collectivités Locales, conditionnée à l’intégration de la BSG dans leurs plans et budgets GRC.
- Créer une "Fenêtre Genre et Climat" au sein du Fonds, dédiée au financement d’initiatives à fort impact pour les femmes.
Justification économique : Un fonds bien géré et axé sur le genre réduit les pertes économiques des catastrophes, diminue les coûts de l’aide humanitaire, et assure une meilleure gouvernance financière et une croissance plus inclusive.
Niveau mésoéconomique : assurances climatiques régionales et PPP sectoriels
L’objectif est de mutualiser les risques et de mobiliser le secteur privé et les partenaires au développement de manière ciblée.
Action : Développer des Partenariats Public-Privé (PPP) pour l’assurance indicielle agricole et des instruments financiers sectoriels ciblant les femmes.
Principe économique : L’assurance transfère le risque. Les PPP mobilisent le capital privé. Les instruments sectoriels répondent à des besoins spécifiques (ex : agriculture, petite et moyenne entreprise).
Mise en œuvre :
- Partenariat avec le secteur de l’assurance nigérian pour concevoir des produits de micro-assurance indicielle (basés sur les pluies, la température) adaptés aux petites exploitantes agricoles dans les zones vulnérables, avec des primes subventionnées par le Fonds Fédéral de Résilience.
- Développer des fonds de garantie et des lignes de crédit dédiées aux femmes entrepreneurs dans les secteurs clés (agroalimentaire, énergies renouvelables) via des banques commerciales et institutions de microfinance, avec des incitations fiscales pour les banques participantes.
- Mettre en place des obligations vertes ou des obligations à impact social sur le marché boursier nigérian pour financer des projets d’adaptation et d’atténuation intégrant une forte dimension genre.
Justification économique : Cela réduit l’exposition des femmes aux risques climatiques, stimule l’investissement privé dans l’économie résiliente, diversifie les sources de financement et renforce la capacité du secteur financier local.
Niveau Microéconomique : Renforcer le Capital Humain et Social des Femmes
L’objectif est d’autonomiser directement les femmes et de renforcer leur pouvoir de décision au niveau communautaire.
Action : Étendre les programmes de transferts monétaires "Cash-Plus", soutenir les associations de femmes et collecter des données désagrégées par genre.
Principe économique : Les transferts monétaires offrent un filet de sécurité immédiat. Le "Cash-Plus" (argent + formation) développe les compétences. Le soutien aux associations démultiplie l’impact local. Les données fiables permettent des investissements efficaces.
Mise en œuvre :
- Déployer des programmes "Cash-Plus-Protection" : Des transferts monétaires d’urgence seraient liés à des formations en gestion des risques, en compétences de leadership, en droit foncier, en alphabétisation financière ou en prévention des violences basées sur le genre (VBG) dans les zones de conflit et de catastrophe.
- Financer directement les organisations de femmes et les associations communautaires via des micro-subventions du Fonds Fédéral de Résilience pour des projets locaux de résilience (banques de semences, systèmes d’alerte précoce gérés par des femmes, AGR résilientes).
- Systématiser la collecte de données ventilées par genre et la recherche participative dans toutes les évaluations des risques et des besoins post-catastrophe, pour informer les politiques de manière précise.
Justification économique : Cela améliore la sécurité alimentaire, réduit la pauvreté, renforce la capacité d’adaptation et de négociation des femmes, et assure que les fonds sont dépensés sur la base de besoins réels et vérifiés.
Conclusion : le Nigéria, un géant résilient par l’équité de genre
Le Nigéria a la stature et le potentiel pour transformer la politique genre en un pilier essentiel de sa stratégie de résilience et de développement. En mettant en œuvre une architecture de financement intégrée – avec un Fonds Fédéral de Résilience, une BSG obligatoire et décentralisée au niveau macro, des PPP et des assurances climatiques au niveau méso, et des programmes "Cash-Plus" et de soutien aux organisations de femmes au niveau micro – le pays peut aborder de front ses vulnérabilités. Financer l’égalité des genres n’est pas seulement un impératif de justice sociale ; c’est un investissement économique stratégique pour bâtir un Nigéria plus stable, plus prospère et plus juste pour tous ses citoyens.
